Il est agréable de reprendre les photos prises durant l’été. C’est parfois un rituel familial. Cet été j’ai co-animé plusieurs stages, et en ce début d’automne, il me semblait intéressant de revenir dessus, une sorte de séance diapo en famille en somme… « Ce qu’on touche à l’extérieur est le reflet de ce qu’on touche à l’intérieur. » Durant le programme MBSR que j’ai animé avec Anne Soulet, Anne a prononcé cette phrase que je trouve vraiment importante. Un point qui n’est pas évident au début de l’entrainement à la pleine conscience est ce processus de présence aux perceptions sensorielles. Soit nos pensées nous volent ce processus, et rapidement cette méditation se transforme en commentaire : « tiens ! il y a de la poussière sur le meuble, je devrais peut être le changer de place… » il est difficile de rester dans le voir. Cela impliquerait que les fonctions qui nomment les choses – leurs attributs, leurs caractéristiques – soient mises en veille un moment, ou ne remplissent pas le champ de notre perception. On se laisserait alors la possibilité de voir. Ce style d’entrainement conduit à élargir notre champ sensoriel et à diminuer l’importance accordée au mental. De plus, il y a quelque chose de régénérant dans ce processus ; si j’avais un langage New Age, je dirais qu’on « voit avec le cœur ». Si je reprends mon sérieux habituel, je dirais que le lien établi entre la conscience et ce qu’elle perçoit est plus direct, plus spontané. Voir, entendre, etc., est le fruit d’un entrainement ; si on laisse nos habitudes et la vitesse du quotidien nous voler nos perceptions, il ne reste pas grand chose au bout du compte ; notre champs sensoriel s’appauvrit. Nos sens s’affaiblissent comme un muscle que l’on n’utilise pas. Au contraire, donner de l’attention aux perceptions sensorielles, c’est s’ouvrir à un monde constamment en changement et composé de multiples nuances. Paradoxalement, si ce type de méditation est conduite sérieusement elle tend à moins nous mettre au centre du monde, et donc à moins réagir par l’attraction, le rejet ou l’indifférence. Naturellement, la présence devient bienveillante. Une autre image de ce stage qui reste en moi est le Moulin de Chaves, un centre Vipassana au nord de la Dordogne. Un lieu très apaisant, où l’on a l’impression de méditer depuis des années juste en y arrivant. Pourtant, en regardant cette photo attentivement me revient à l’esprit que cet été il a été question des effets indésirables de la méditation : et si mon mal être était la conséquence de ma pratique ? Une étude a en effet été lancée à Brawn University aux Etats Unis en 2012 au département de Contemplative Neuroscience à Brawn University, notamment conduite par Mrs Britton. On lit facilement en ce moment que la méditation augmente tout ce qu’il y a à augmenter, diminue tout ce qu’il y a à diminuer. Mais ne nous est-il pas arrivé de ressentir parfois un sentiment d’extrême vulnérabilité depuis que l’on médite ? « Des trucs qui s’élèvent » auxquels on ne s’attendait pas ? Des douleurs, des états d’âme inattendus que l’on impute parfois à la méditation ? Beaucoup de thérapeutes, de psychologues ou de psychiatres font méditer les personnes, mais quand ces troubles s’élèvent, ils les rattachent facilement à un trouble psychologique, sans voir qu’il peut parfois s’agir d’une conséquence naturelle de la méditation, parfois même d’une expérience de méditation. Parfois, les participants eux-mêmes, tellement focalisés sur leur mieux-être, ne s’attendent pas à ce que la pratique de la pleine conscience puisse les fragiliser ou les mettre en lien avec ces fragilités. Enfin, nous-mêmes, les enseignants venant du monde traditionnel, manquons parfois de ressources « non traditionnelles » pour accompagner ces « méditants laïcs » dans le trouble qu’on peut parfois, à juste titre, attribuer à la méditation. La méditation telle qu’elle est enseignée dans le programme MBSR, ou en tout cas telle que je l’ai comprise (il faut être prudent dans ses certitudes), va forcément nous mettre en lien avec notre trouble profond, sans même que les aléas de la vie ne viennent nous solliciter. Ce trouble, parfois nous appartient directement, mais parfois on a du mal à voir vraiment le lien avec notre personnalité ou notre histoire… Et ce n’est pas grave, il n’est pas nécessaire de s’expliquer la cause de ces symptômes, sauf si on le désire et que l’on s’engage sur le chemin de la thérapie. J’ai constaté que la méditation peut mettre certaines personnes dans un état de faiblesse. Je ne l’ai pas vu dans le cadre du programme MBSR, mais je pense que cela peut arriver. Il n’est pas nécessaire d’en avoir peur, on ne peut seulement se focaliser sur le fait qu’on dort mieux en méditant, que la matière grise se développe etc. La méditation nous met en lien avec des états étranges, que certains qualifient « d’effets indésirables de la méditation ». Est-ce à dire que c’est mauvais ? Plus on insistera sur les effets positifs de la méditation, plus les effets indésirables se manifesteront. Pour ma part, dans le contexte d’une méditation laïque, je pense qu’on peut nommer « effet indésirable de la méditation », le fait que la méditation nous mette en lien de manière notre vulnérabilité ou qu’elle nous mette face à une souffrance. De ce que j’ai pu expérimenter dans le contexte traditionnel de la méditation, ce qui émerge dans la méditation, se résout dans la méditation. Mais « résoudre » peut avoir une autre définition dans le monde de la méditation, « résoudre » peut signifier « accepter », et non « se débarrasser ». Le fait de mieux voir, d’être plus en lien avec soi-même, peut constituer en soi un effet indésirable de la médiation à première vue. On entend souvent des participants dire « c’était mieux avant, je ne voyais pas toutes ces pensées… » Des évènements désagréables qui s’élèvent dans la pratique, c’est l’opportunité qu’ils se libèrent moment après moment, comme des nœuds qui se défont. Intervenir à ce moment là, par la peur ou le désir de comprendre – souvent c’est la même chose – ne fait que ralentir le processus, au mieux. Au pire, cela nous met dans un état de blocage ou d’opposition. Être nous-mêmes dans le cadre d’une pratique « laïque » de la méditation comporte-t-il des risques ? Oui, cela comporte des risques, parce que l’on a, à mon avis, passé tellement de temps loin de soi que l’on n’est plus habitué aux murmures de notre être profond. Celui-ci est en effet la source de beaucoup d’intuitions, mais également le réceptacle de nombreuses souffrances. Quoi qu’il en soit, l’esprit ressort plus fort et plus confiant de cette capacité d’écoute, plus ouvert sur les autres, paradoxalement. Il me semble que cet entrainement à l’écoute intérieure devrait nous permettre de nous ouvrir au monde, bien qu’il soit naturel que ce sentiment de vulnérabilité ait parfois pour conséquence temporaire une forme de repli sur soi. Après tout, les retraites ont un peu cette fonction. Si le courage nous fait défaut, alors il y a l’amour ; si l’amour nous fait défaut, alors il y a la patience ; si la patience nous fait défaut, alors il y a les autres, nos compagnons de pratique. S’ils ne sont pas là, et que tous les éléments qui précèdent nous manquent, peut-être faut-il aussi accepter que la méditation ait des effets indésirables, et qu’il faut s’assurer d’être accompagné. Pour conclure, je crois qu’il est bon de se souvenir que les pratiques qui sous-tendent les programmes de pleine conscience ont été conçues avec une intention précise. Ils sont basés sur l’attention au corps, aux sensations, aux émotions-pensées, à la conscience elle-même. On insiste également sur une capacité innée de l’être à la bienveillance, et sur le fait que les choses apparaissent en dépendance les unes des autres. Cette qualité de présence a pour but de voir clairement ce qui fait souffrir et son origine. Cet entrainement à la vision est la pratique, le résultat est un mieux-être au monde. Ce mieux-être passe par une certaine forme d’abandon. C’est la photo de l’été suivante…
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